La démocratie est un thème central pour moi depuis ce 15 mai 2011, lorsque j’ai entendu parler par mon ami Rafael de la Rubia à Madrid d’un événement considérable qui rompait avec la mécanique habituelle de la lutte sociale. L’occupation de la Puerta del Sol et l’appel du 15M pour une démocratie réelle m’ont immédiatement impacté. J’ai alors pris la direction de Lyon, où quelques étudiants espagnols se rassemblaient sur la place des Terreaux, mais à Saint-Étienne, il ne se passait rien. J’ai finalement décidé d’appeler à un rassemblement , et le 28 mai, nous étions nous aussi sur la place de la Mairie de notre ville.
Assis par terre, nous avons commencé à discuter en tant qu’êtres humains, à inventer une nouvelle manière de communiquer où l’écoute comptait encore plus que l’expression. C’était une nouvelle façon — ou plutôt plusieurs — de faire démocratie. Parmi les 300 personnes présentes à un moment donné, nous sommes rapidement redescendus à une moyenne de 30 participants. Mais malgré ce nombre réduit, il est incroyable tout ce que nous avons réussi à accomplir, tant localement qu’en participant à des rassemblements en France, en Espagne ou en Belgique.
Notre mode de fonctionnement, très démocratique, a été perçu par certains comme une faiblesse, qui mettrait fin à nos échanges interminables. Au contraire, cela est devenu notre force. Un groupe qui n’élit pas de représentants finit par créer un environnement où chacun se sent légitime pour parler et agir. Ces conditions favorisent l’autonomie, car tout le monde gère un peu tout, à tour de rôle. Dans chacune de nos manifestations, les forces de l’ordre demandaient à parler à un responsable, et nous répondions invariablement que nous étions tous responsables. C’était vrai, et cela devait être ingérable pour la police. Ils savaient que si seulement deux ou trois d’entre nous échappaient à leur surveillance, ils pourraient improviser une action n’importe où dans la ville. Finalement, ils ont eu recours à des méthodes illégales pour nous encercler et nous empêcher de bouger. Cela pouvait durer des heures, alors nous nous asseyions en cercle, tournant le dos aux CRS, qui formaient eux aussi un cercle autour de nous, mais debout. Même en étant retenus, nous continuions à discuter des thèmes que nous devions organiser pour nos futures actions.
Mis à part nos occupations de place et nos manifestations pour la justice sociale et la démocratie, je garde le souvenir d’un mouvement joyeux et convivial. Chaque membre pouvait compter sur la solidarité des autres, et nous organisions également des événements solidaires, comme des gratiférias. Une petite anecdote caractéristique de ce mouvement non violent m’amuse encore : nous avions décidé d’organiser une foire aux dons, que nous appelions aussi « zone de non-violence économique », sur la place de la Mairie. Une fois installés, nous avons eu l’idée de faire des magnifiques marches du parvis de l’hôtel de ville un présentoir pour tous nos dons (vêtements, livres, jouets, électroménager, vaisselle). Bien sûr, la police ne voyait pas cela d’un bon œil, mais que pouvaient-ils faire face à des gens souriants qui ne vendaient rien, soutenus par les passants ? Nous leur avons poliment concédé que nous partirions… dès que nous aurions fini.