Une ville sans nature est, à mes yeux, invivable. C’est pourquoi je me bats pour que nous trouvions des espaces naturels, voire des lieux laissés à l’état sauvage, qui sont de véritables outils pédagogiques pour sensibiliser et faire connaître la biodiversité. Nous avons hélas perdu le contact avec la nature pour de multiples raisons historiques, et il est urgent de renouer avec ce qui est essentiel à la vie.
Pour cela, j’anime souvent des visites de découverte de la nature avec des enfants, des jeunes, des étudiants et des familles. Mon objectif est d’expliquer les grands cycles naturels : l’importance de l’eau, la nécessité de limiter les surfaces imperméables comme le goudron et le béton, le rôle des saisons, du soleil et de la photosynthèse… Tous ces cycles sont à la base de la vie. Je parle également de la nature sous son aspect nourricier, un thème qui me passionne. J’explique les récentes découvertes archéologiques qui révèlent que nos ancêtres, dits « chasseurs-cueilleurs », n’étaient pas des individus sous-alimentés et totalement sauvages. Les découvertes des grottes de Chauvet, datant de 36 000 ans, témoignent d’une sensibilité étonnante. L’analyse des restes osseux montre également que ces individus ne présentaient pas de carences. Dans un environnement riche et avec une population relativement faible, la chasse était souvent complétée par des activités moins dangereuses comme le piégeage ou la pêche. En effet, pourquoi courir après un cerf ou un chevreuil quand on peut ramasser facilement des escargots, piéger les lapins ou mettre des nasses pour les poissons ?
Les plantes sauvages constituaient donc l’essentiel de la nourriture avant la révolution néolithique, qui a considérablement changé nos habitudes alimentaires, souvent pas pour le meilleur. En effet, ces plantes sauvages sont beaucoup plus nutritives que les plantes cultivées. Alors, pourquoi ont-elles été oubliées dans notre alimentation ? Plusieurs facteurs y ont contribué. Tout d’abord, les aliments sauvages sont « gratuits », et au fil des siècles, ils ont été perçus comme la nourriture des pauvres. Cette gratuité ne s’accommode guère de la mentalité capitaliste. Dans mes visites, je parle également du drame de l’Inquisition : les « simples » sauvages, ces plantes médicinales, nous offrent leurs vertus thérapeutiques généreusement. Elles ont soigné des générations d’humains, mais l’avènement des pouvoirs centralisés, qu’il s’agisse de l’Église ou de l’État, a malmené ces savoirs traditionnels locaux. Les milliers de femmes torturées et brûlées comme sorcières n’ont pu nous transmettre la connaissance de cette pharmacie naturelle et gratuite.
Je raconte aussi que nous n’avons plus vraiment idée de ce que peut être un milieu riche en vie, comme l’étaient les rivières il y a un siècle. Les poissons et crustacés y abondaient à tel point que des ouvriers travaillant à la construction de barrages se mirent en grève, ne voulant plus manger du saumon tous les jours. Les étangs et les lacs abritaient des villages lacustres, témoignant d’une vie entourée de milieux riches en biodiversité. Je conseille d’ailleurs le livre et le film « Les Enfants du marais », qui illustrent bien la richesse de ces milieux, même au 20ème siècle.
Nous avons asséché les zones humides et posé des drains partout, ce qui nous a coûté des millions. Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, nous manquons d’eau. À Sainté Debout, nous nous efforçons de promouvoir des solutions locales pour l’agriculture. Le degré d’autonomie alimentaire moyen des 100 premières aires urbaines françaises est seulement de 2,1 %. Il est crucial de soutenir les filières locales d’agriculture et d’agro-alimentaire. Cela permettrait de garantir une alimentation de qualité, avec peu de transport et de générer des milliers d’emplois locaux non délocalisables. Avec le réchauffement climatique, nos villes sont littéralement devenues des fours.
L’albédo est un concept fondamental qui mérite d’être mieux compris. Il désigne la fraction de l’énergie solaire qui est réfléchie par une surface, avec une valeur comprise entre 0 et 1. Plus cette valeur est élevée, plus la surface est réfléchissante, ce qui signifie qu’elle chauffe moins. Par exemple, une surface blanche, qui réfléchit bien l’énergie solaire, reste plus fraîche qu’une surface noire. Le goudron, avec son faible albédo, constitue donc une véritable catastrophe en termes de température urbaine. À Los Angeles, des initiatives ont vu le jour, comme la peinture en blanc de certains sols et bâtiments, permettant de faire baisser la température de 6 à 7 degrés. Cependant, dans notre ville, la municipalité semble ne pas faire grand-chose à ce sujet. C’est pourquoi, avec quelques habitants, nous avons pris l’initiative de peindre nous-mêmes nos trottoirs en blanc, utilisant une peinture naturelle comme le lait de chaux, qui disparaît avec les pluies d’automne. Bien que ce soient des actions très locales, elles ont parfois des répercussions au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Par exemple, en 2021, j’ai eu l’immense plaisir de faire visiter un petit bois de ma ville à une délégation de Zapatistes du Chiapas. Ces personnes avaient un rapport privilégié avec la nature et une expérience de l’action et des pratiques démocratiques largement supérieures à tout ce que j’ai pu observer en France.
Comment pourrions-nous (re)trouver ce lien ? Nous pour qui nature et culture sont deux mondes séparés. Je pense que la réponse se trouve en nous car nous ne voyons dans le monde que ce que nous ressentons profondément en nous même.