Aider, oui ! Faire avec, oui ! Mais faire à la place, c’est sans issue !


Mon engagement est souvent auprès de ceux que l’on appelle les « sans » : les sans-emploi, les sans-logement, et les sans-papiers… Pour répondre efficacement et localement à ces enjeux, j’ai participé à de multiples collectifs qui leur viennent en aide. La plupart de ces initiatives sont légales, offrant conseils, aide administrative, collecte de fonds, et organisation de convois. Cependant, certaines actions sont plus urgentes et légitimes.

A partir de là , je vais préciser que ce que je raconte pouvant être condamné par la loi (même s’il y a prescription) je ne mentionnerais aucun nom et d’ailleurs il est possible que ce que je raconte soit purement une étude sociologique , voire une fiction.

Ainsi comme la loi l’interdit je ne ferais pas la promotion des squats, je raconterais simplement des faits d’une autre époque.

« Dans notre ville, des immeubles entiers sont inoccupés, et nous avons, en tant que collectif informel, logé des centaines de personnes au fil des années.

Le besoin de logement étant immense et le nombre de volontaires expérimentés dans ces opérations relativement faible, nous avons eu l’idée d’organiser des cours sur le sujet, ouverts aux personnes sans logement elles-mêmes. Pour moi, il est essentiel que l’action soit organisée par ceux qui en bénéficient. Je me souviens d’une de ces formations où nous répétions pour la troisième fois, en français puis en russe, qu’il fallait être conscient des risques encourus lors d’une réquisition citoyenne. L’un des participants, un Tchétchène, a alors réagi : « C’est bon, nous avons compris. Nous venons d’un pays où chaque matin, on peut trouver son voisin mort devant sa porte, un pays où la police peut enlever n’importe qui… alors nous savons ce que c’est que prendre des risques. »

Cette expérience m’a profondément marqué, car elle illustre que ce n’est pas parce qu’une personne se trouve dans une situation de « sans » qu’elle est limitée  à celle-ci. Au-delà des catégorisations, il y a l’humain, son potentiel, et sa dignité.

J’ai également beaucoup agi pour les sans-emploi, que ce soit au sein de collectifs ou avec des syndicats. Cependant, cela n’est pas simple, car les syndicats, qui s’adressent principalement à des travailleurs, n’ont pas historiquement pris en compte la problématique des « privés d’emploi ». Le droit du travail est déjà complexe, et il faut en plus maîtriser la réglementation compliquée de Pôle emploi. Néanmoins, face au chômage massif et à la porosité entre les catégories chômeurs et travailleurs précaires, des comités de travailleurs privés d’emploi et précaires émergent un peu partout.

Faire appliquer le droit dans le domaine du social est un véritable défi. Quand une personne ne perçoit plus ses allocations depuis des mois, sa survie est en jeu, souvent à cause de simples blocages administratifs. Nous nous efforçons de les aider à s’y retrouver, à contacter les bonnes personnes, et si les choses traînent encore, nous n’hésitons pas à nous rendre en agence à plusieurs, ce qui s’avère très efficace. Hélas, la dématérialisation des services, le manque de personnel à Pôle emploi (France Travail) et une politique axée davantage sur le contrôle que sur le conseil entraînent une multiplication des erreurs.

Avec deux ou trois amis Indignés, nous avons créé en 2012 un collectif pour les sans-papiers, qui fonctionne toujours. Ces personnes, souvent mal nommées « sans-papiers », se déplacent avec un sac plein de demandes, justificatifs, photocopies diverses et nombreuses attestations. Contrairement aux fausses informations véhiculées par les autorités et les médias, obtenir des papiers en France n’a jamais été aussi difficile. Cela est vrai même lorsque l’administration respecte ses propres lois, ce qui n’est pas toujours le cas. Par exemple, la loi stipule qu’un individu a le droit à des recours après un premier refus, mais la réalité est souvent différente. Un refus peut être le résultat d’un dossier mal préparé, mais il est difficile de trouver des pièces justificatives officielles de maltraitance dans son pays d’origine lorsque la police elle-même est impliquée. Les témoins potentiels prennent des risques pour témoigner, et il faut du temps pour obtenir et traduire ces récits. J’ai eu l’occasion de faire de la relecture de ces témoignages, et ce qu’on y découvre  est terrifiant.

Dans notre région, le tribunal administratif a régulièrement condamné la préfecture pour non-application des droits, notamment en matière d’hébergement. Vous n’imaginez pas le travail juridique qu’il faut fournir pour que le droit soit réellement appliqué. Un travail qui, finalement, nous rend experts dans le domaine, même si nous collaborons avec des avocats pour finaliser les procédures. À certains moments, ces actions peuvent devenir totalement chronophages, et nous avons parfois l’impression de vivre le supplice de Sisyphe.

C’est pourquoi il est important que ces groupes de solidarité restent connectés à ceux qui travaillent sur des luttes visant à changer les conditions et à établir des alternatives permettant de créer, ici et maintenant, d’autres conditions de vie. Ce sont des démarches complémentaires qu’il ne faut pas isoler.

Un autre aspect fondamental, à mes yeux, est que la gestion de ces groupes doit être partagée entre les bénévoles et les bénéficiaires. Je vais vous raconter une anecdote à ce sujet. Nous avions besoin de fonds pour le collectif des sans-papiers, notamment pour payer des billets de train, car de nombreuses affaires se traitaient à Lyon, à 50 km d’ici. J’ai proposé que nous demandions aux sans-papiers de nous aider à organiser un grand repas multiculturel. Certains bénévoles étaient réticents, pensant que cela serait trop difficile pour eux, déjà confrontés à tant de problèmes. J’ai insisté pour que nous leur fassions au moins la proposition, et ils ont été enchantés, soulagés et heureux de pouvoir contribuer. Ce fut un moment magnifique de convivialité et de multiculturalisme.

Les bénéfices du repas, que nous avons réalisés dans une grande salle d’un espace autogéré libertaire de la ville, ont couvert nos frais de déplacement et même plus. Quelques semaines plus tard, lorsque j’ai proposé de renouveler cette expérience si positive, certains m’ont répondu que nous avions maintenant assez d’argent. Cela illustre bien la limite des actions de solidarité : aider, oui, faire avec, oui, mais faire à la place, c’est sans issue…et anti-démocratique. « 

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